Pierre Paul
Pierre Paul est un personnage intimement lié au destin littéraire de Louis Bellaud. Il est le passeur, celui qui réalise le sauvetage des textes, leur compilation et leur édition en 1595. Né à Salon en 1554, il meurt en 1615 après avoir œuvré pour une « renaissance poétique » en provençal. Installé à Marseille après s’être marié avec une phocéenne, Gasparde Panet, aux alentours de 1574, il y devient fermier des gabelles du port et se rapproche donc du pouvoir marseillais, et plus tard des deux maîtres de l’éphémère république : Louis d’Aix et Charles de Casaulx. Il est présenté comme l’oncle d’alliance de Louis Bellaud, sans que l’on sache ce que signifie réellement ce lien de parenté (il appelle Bellaud son « neveu » malgré son plus jeune âge). C’est avant tout leur amitié que scelle ce terme et leur « communion profonde d’écrire en provençal de la Provence» comme l’écrit Robert Lafont. À la suite des œuvres bellaudines, il joint son propre recueil en guise de clôture d’une entreprise qui, certainement, lui coûta en temps et en implication personnelle. Proche de Robert Ruffi, César de Nostredame, Bernard Zerbin, du plus jeune Claude Brueys (auteur du Jardin deys Musos provensalos), il apparaît aussi dans le projet d’édition des textes de Michel Tronc. Après l’effondrement du pouvoir de Charles de Casaulx, il poursuit ses activités littéraires en provençal, il fréquenta la résidence marseillaise (une belle bastide sur les hauteurs de la ville, avec vue sur la mer) du Président du Parlement, Guillaume Du Vair, lieu de rencontre des poètes, savant et érudits tels que Malherbe, Peiresc, La Céppède. Son second recueil L’Autounado ne connut jamais l’impression.
Extrait
L’extrait choisi (deux premiers quatrains du sonnet, p. 36) est issu du recueil La Barbouillado et rend compte avec sa tonalité grivoise et joyeuse de l’amitié qui liait Paul et Bellaud.
Graphie originale | Traduction française |
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A mon nebout, de la Bellaudiero / Sonnet
BELLAU, quan tu vendras, nebout, que devy dire,
Lou desasept dau Mez, ou ben lou desahuech,
Tan leou n’auras leissat quatre peds que tout cuech,
Troubaras ton briffar, tout saupoudrat de rire.
Diren, aquest es bon, l’autre n’és pas dau pire,
M’y semblo qu’es millour qu’aqueou de l’autro nuech :
Nouostre coulasson, Pistachos, & Bescuech,
Fara nostre verdun tenir drech coumo Cire.
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À mon neveu, de la Bellaudière / Sonnet (deux premiers quatrains) Bellaud, quand tu viendras, neveu, je dois dire, Le dix-sept du mois, ou bien le dix-huit, Tu n’auras pas à peine laissé quatre-pieds* que tout cuit Tu trouveras ton repas, tout saupoudré de rire. Nous dirons, celui là est bon, l’autre n’est pas des plus mauvais, Il me semble qu’il est meilleur que celui de l’autre soir : Notre collation, pistaches, et biscuit, Fera tenir notre épée droite comme un cire. *quatre-pieds : le cheval avec lequel Bellaud a rejoint Marseille |
Robert Ruffi
Robert Ruffi est un autre contemporain de Bellaud, il apparaît d’ailleurs dans les pièces liminaires de l’édition des Obros et Rimos prouvenssalos en 1595. Né en 1542 et mort en 1634, à Marseille, il fut le premier « archivaire » de la ville de Marseille et le secrétaire de Charles de Casaulx. Nous lui devons de nombreux poèmes, sonnets, chansons en provençal qui, malheureusement, demeurèrent manuscrits.
Il est l’auteur d’un texte évoquant en vers les ravages de la peste à Marseille, en 1580. Ses sonnets étudiés et édités par Jean-Yves Casanova Contradictions d’amour, déploient une poésie de l’antithèse qui décrit les passions d’amour. Pas plus L’Autounado de Pierre Paul ou le recueil de Michel Tronc, sa poésie n’accède pas à l’imprimerie. Après Louis Bellaud, la renaissance littéraire a ses artisans mais le contexte politique devient moins favorable. Le petit fils de Robert Ruffi, Antoine, rédige et publie à partir des notes d’archivaire de son grand-père une Histoire de Marseille en 1642.
La poésie de Robert Ruffi sera éditée partiellement au XIXᵉ siècle puis rééditée dans le cadre d'un travail d'Habilitation à Diriger les Recherches par Jean-Yves Casanova, La poésie en Provence de 1575 à 1640, volume II, Œuvres poétiques de Robert Ruffi, Université Paul Valéry, Montpellier III, Juin 1994.
Extrait, sonnet liminaire aux Obros et Rimos prouvenssalos, 1595
Graphie originale | Traduction française |
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BELAU prenent hurous de Minervo neissenço,
Et de son lach divin (avalant doussament,
Sembuguet lou cerveou) de sciensso plenament :
Tirant d’aqueou Nectar, sa divino elouquensso.
Epandoro tanben pleno en dons d’excellensso,
Sas charitos donant à Belau largament :
La rendut accomplit troubadour dignament,
Lou premier de son tems au pays de Prouvensso.
Testimonis verai sas obros lan rendut,
Au monde curious dau fruq de sa vertut :
D’uno santo furour sourtent de sa peitrino.
Son escrich ez gauchous, grave, fouort familiau,
Tout plem de sens moral, per mostrar au badau :
Qu’ero lou parangon Prouvenssau de doutrino.
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Bellaud prenant heureux de Minerve naissance, Et de son lait divin, avalant doucement, Il s’emplit le cerveau de science pleinement : Tirant de ce nectar sa divine éloquence. Et Pandore aussi pleine de dons d’excellence, Donnant largement ses charités à Bellaud : L’a rendu dignement troubadour accompli, Le premier de son temps au pays de Provence. Témoignages véritables ses œuvres l’ont rendu, Au monde curieux des fruits de sa vertu : D’une sainte fureur émanant de sa poitrine. Son écrit est joyeux, grave, fort familier, Tout plein de sens moral, pour montrer à l’admirateur : Qu’il était le parangon provençal de doctrine. |
- Lien vers le manuscrit Oeuvres poétiques de Robert Ruffi conservé au Musée-Bibliothèque Paul Arbaud d’Aix-en-Provence
- Lien vers l'édition critique des œuvres poétiques de Robert Ruffi par Jean-Yves Casanova
- Lien vers le manuscrit Mémoires de Robert Ruffi, mon bisaïeul, sur l'histoire et les antiquités de Marseille, écrites de sa main jusqu'en 1600 conservé au Musée-Bibliothèque Paul Arbaud d’Aix-en-Provence
Michel Tronc
Michel Tronc est un autre poète-soldat, de Salon-de-Provence (il y mourut en 1596). Surnommé Lorges, il est capitaine, donc militaire de métier et servi très certainement dans le camp dit des « bigarrats », le parti des anti-ligueurs composé de catholiques et de protestants modérés. Il se situe à l’opposé de l’échiquier politique par rapport à l’entourage de Louis Bellaud. Auteur de sonnets, chansons, pièces diverses, il signe quelques beaux sonnets témoignant de la dure vie de soldat. Ses œuvres manuscrites, las humours a la lorgino, ont été conservées à la Bibliothèque Inguimbertine à Carpentras. Dans son Autounado inédite Pierre Paul évoque le capitaine Lorges et insère certains de ses textes. D’ailleurs, c’est Pierre Paul lui-même qui effectue des corrections dans le manuscrit de Michel Tronc. Une fois de plus, nous retrouvons l’oncle d’alliance de Bellaud à la manœuvre dans un projet d’édition. Tronc et Paul appartiennent à deux univers antagonistes mais après l’assassinat de Casaulx, les choses ont changé, Pierre Paul renie ses fidélités à la république déchue. Au-delà des dissensions religieuses et militaires qui déchirent la Provence, le projet littéraire et poétique en langue d’oc semble constituer un espace de rencontre et d’unité.
Extrait
Extrait, deux premiers quatrains du sonnet 41 (Michel Tronc, Las humours a la lorgino, éd. et traduction de C. Jasperse, Toulon, l’Astrado, 1978).
Graphie originale | Traduction française |
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Miserable souldat, tu endures de peno,
D’engouysso, de tourment, may que non pas un ay,
Endures plueio, vent, tempesto encaro may,
As souvent fan et set, enssin que Diou l’ourdeno ;
Tu sies a conparar ou fourssat de cadeno
Qu’a frech, caut, mau vestit, tout renplit d’oy et d’ay,
Dormes tout abilhat et n'as repaus jamay,
Aquo, tant soullament, my fa tramblar mey veno.
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Soldat misérable, tu endures de la peine, De l’angoisse, des tourments, plus qu’un âne, Tu endures la pluie, le vent, la tempête et encore plus, Tu as souvent faim et soif, ainsi que Dieu l’ordonne ; Tu es à comparer avec le forçat à la cadène Qui a froid, chaud, qui est mal vêtu, tout rempli d’oh et d’aie, Tu dors tout habillé et tu n’as jamais de repos, Cela, tout seul, fait battre mes veines. |
Claude Brueys
Après Louis Bellaud, rares sont les écrivains d’oc ayant accédé à l’impression en ce dix-septième siècle provençal. Claude Brueys, né en 1570 ou 1571, issu d’une famille bourgeoise importante d’Aix-en-Provence, fait partie des exceptions. Nous savons que l’un de ses poèmes fut déclamé par un comédien déguisé en troubadour pour l’accueil de Louis XIII lors de sa venue à Aix, en 1622. Ses poèmes de circonstance et ses pièces inspirées de la tradition italienne de la commedia dell’Arte (et du ton burlesque des lazzi qui la caractérisent) sont rassemblés et publiés en deux volumes en 1628, à Aix, chez Estienne David : le Jardin deys Musos provensalos. Nous savons que ces textes avaient été rédigés une trentaine d’année auparavant. Ils sont donc contemporains de l’édition bellaudine de 1595. Une période festive, riche en moments collectifs, que ce jardin poétique célèbre dans une langue du quotidien, verte et surprenante, truffée de seconds sens et de décalages ironiques.
Gaspard Zerbin
Fils de Bernard Zerbin, un procureur d’Aix contemporain de Bellaud qui apparaît dans les pièces liminaires des Passatens, Gaspard (1590-1650?) fut avocat dans cette même ville. Son œuvre intitulée La Perlo dey Musos et coumedies prouvensalos, est éditée en 1655 par l’aixois Jean Roize. Elle s’inscrit dans la suite du théâtre de Claude Brueys mais se détache de la pure inspiration carnavalesque pour glisser vers des formes plus élaborées de la comédie comme l’on en trouve, pour le théâtre français, chez Molière. Entre burlesque, veine baroque et satire, le rire prend plus d’une dimension dans ces cinq coumedié subversives et inclassables. Florian Vernet publia en 2006 une édition critique moderne de l’œuvre avec notes, commentaires e traductions.